Argumentaires et récits prospectifs
Toute intervention architecturale ou urbaine doit être pensée de façon prospective afin de rester pertinente en 2050, voire en 2100. Nous savons aujourd’hui que le dérèglement climatique, contre lequel nous devons continuer à lutter, engendre des perturbations qui sont en marche : parce que les conditions d’habitabilité actuelles ne seront pas celles de demain, il est fondamental de prendre en compte leur changement dès aujourd’hui dans la conception. De bons perspectivistes, qui travaillent en s’appuyant sur les données connues d’hier et d’aujourd’hui, nous devons collectivement devenir de bons prospectivistes, en nous appuyant sur des données connaissables du futur, à travers hypothèses, simulations, probabilités.
Pour aider à la décision, clarifier les parti-pris, embarquer l’ensemble des acteurs et donner à voir des probabilités, nous prônons le développement d’argumentaires et de récits prospectifs qui facilitent la projection. Mises en récits et en images, les hypothèses d’un avenir aux conditions climatiques différentes deviennent plus claires et peuvent être partagées et acceptées. Mettre en scène, donner à voir les besoins et les sensations en simulant l’itinéraire d’un habitant, d’un enfant ou d’un vieillard…, ou, dans une approche sensorielle, retracer le fil des dispositifs mis en place pour donner à sentir leurs bénéfices : le récit épouse ainsi les contours d’une approche scientifique pour révéler le sens d’une démarche.
Extrait d'une Balade Urbaine Prospective, à Ivry
« À mon arrivée, Ivry était déjà ce territoire bouillonnant de friches et de jardins, individuels, collectifs, partagés près du métro. De l’espace et du vivant à portée de Paris. Un autre monde. Je trouve que ça a bien été ramené sur le site, mais il faut dire que l’opportunité était belle : les entreprises sur place, Truffaut, Leroy Merlin avaient tôt commencé leurs migrations vers ce que l’on appelait « les nouvelles économies », « les nouveaux modes de consommation », « la relocalisation et les circuits courts rapprochant la production, ou l’idée de production, des consommateurs finaux ».
Ma compagne est une makeuse, on suivait déjà de très près ce que faisaient les commerces pour donner plus de place au faire soi-même, au DIY, à la débrouille. On était dans une période post confinement où les français, déjà convertis à ces nouvelles pratiques de cols « verts », de faiseurs, s’étaient majoritairement consacrés au bricolage, jardinage, création florale et autre. Et à la cuisine de qualité, si possible en circuit court. Les enseignes avaient accéléré leur mutation au rythme de la société, offrant des ateliers de do it yourself, des services à valeur ajoutée comme des conseils aux particuliers et, dans leurs magasins, des expériences uniques, partagées, de l’apprentissage. Je me suis rendu sur le site de la Mairie l’autre jour, et on peut suivre « l’IDH de l’IGH » : l’Indice de Développement Humain avait été adapté pour devenir l’Indice de Développement Habitant, mesurant les bénéfices du site pour les habitants. Cela faisait partie du protocole d’innovation et l’un des pilotes directes était le gestionnaire du site.
C’est cet esprit que l’on retrouve majoritairement ici, les entreprises s’étaient concertées pour porter ensemble ces nouvelles offres de valeurs sur le site en faveur du bien-être et de l’empowerment des populations, qui allaient dans le sens de leurs politiques écolo si vous voulez. Enfin ce qu’on appelait écolo RSE en 2020 et qu’aujourd’hui on appellerait bon sens ! Grand Ivryien était l’incarnation des possibles, c’était un peu un site laboratoire de ces nouvelles économies, plus respectueuses des gens et des limites planétaires et concentrées sur les logiques de cycles et de liens. »